Tout est lié. L’intime, l’éthique et la politique, c’est ce dont je me propose de parler à l’instar de ce que je bricole avec y’a plus qu’à [1], blog et journal mural marginal de littérature sauvage qui se partage aussi sous la forme de papillons, autre nom donné aux tracts de petit format qui se donnent de la main à la main ou qui s’abandonnent dans l’espace public afin qu’une personne curieuse s’en saisisse, leur permettant ainsi de s’envoler.
L’intime est politique car nous sommes faits du même bois. Gamine du Loir-et-Cher venue gagner ma vie à Paris, travailleuse indépendante, j’use de mon temps libre pour faire ce qui me semble utile sans le remettre à plus tard. Quoique je n’apprécie pas plus les étiquettes que les chapelles puisque les autres ne se gênent pas pour le faire pour toi, je me définis comme un animal politique du genre anarco-mystico-révolutionnaire animé par une idée plus grande que moi, rien que ça.
Après ma rencontre avec la philosophie stoïcienne et la prise de conscience qu’il y a des choses en mon pouvoir que je peux réaliser pour prendre part à la vie de la cité, j’ai mis ma créativité et mon esprit logique au service de causes communes, en initiant et en animant plusieurs collectifs informels. L’enjeu était alors de parvenir à maintenir l’équilibre entre une aspiration existentielle – contribuer à rendre le monde meilleur à mon échelle – et la contrainte économique liée aux devoirs que me devais d’honorer vis-à-vis de mes fils : me loger à Paris pour pouvoir assurer leur garde partagée et ainsi veiller sur eux.
Mère célibataire « occupante à titre gratuit » de la résidence fiscale d’un héritier parti s’installer dans son nouvel hôtel particulier déclaré en local commercial (ça ne s’invente pas), après neuf années de renouvellement d’une demande de logement social, c’est en débutant une nouvelle histoire en mode famille recomposée que j’ai pu en obtenir un dans le vingtième arrondissement de Paris. Je découvrirais plus tard que j’étais revenue dans le quartier populaire où avaient vécu une partie de mes aïeules maternelles.
Ayant pris soin de réduire mes besoins en écartant un certain nombre de désirs futiles, je travaillais assez pour gagner ce qu’il fallait. C’est grâce à un équilibre précaire entre le travail rémunéré permettant de couvrir les besoins nécessaires et le temps libéré mis au profit de causes communes, que j’ai pu avoir l’idée et devenir la cheville ouvrière de Plein le dos [2], archive populaire engagée conçue en riposte au discours politico-médiatique insultant à l’égard des « gens qui ne sont rien », et fanzine solidaire. Cette initiative a notamment permis de verser plus de 40 000 euros aux gueules cassées du mouvement des gilets jaunes [3], ainsi qu’à plusieurs caisses de défense collective.
Suite à ça, fatiguée des enjeux d’ego et de pouvoir, ayant finalement compris que les mécanismes de domination critiqués chez les puissants sont aussi à l’œuvre sur le terrain des opposant·es, dépitée de ne plus rien attendre, ni du grand soir, ni de la démocratie électorale, je me suis écartée du terrain des luttes, ne désirant plus m’y investir comme avant. Après des années à écrire des « nous », j’ai commencé y’a plus qu’à, un « je – tu – nous » exutoire pour m’alléger en partageant ma sensibilité, écrit en prétextant l’intime pour aborder des questions politiques avec un angle éthique.
Après de longues années à chercher la paix intérieure dans ce monde obscène, j’avais enfin pu m’apaiser grâce à la philosophie et à l’engagement. Mais si mon couple avait dès le début été compliqué – l’homme était susceptible et colérique – la séquence MeToo, le confinement Covid ajoutés à la lecture de bell hooks [4] n’avaient rien arrangé. Cependant, candide, je me disais qu’à force d’une vie ensemble, on finirait par y arriver.
À vrai dire, je ne pensais pas avoir les moyens d’être émancipée du salariat et du couple, en tant que modèles sociaux, pour me loger à Paris. Ainsi, je théorisais l’amour, ce que les contraintes peuvent produire, puisque qu’il faut bien chercher le bonheur quand les choix sont contraints et de nombreux choix le sont – pour ne pas dire qu’ils le sont tous -, consciente des histoires qu’on se raconte à soi-même pour que ça tienne.
Mes enfants et le sien devenus adolescents, l’histoire a tenu jusqu’à l’été, où lors d’un échange banal, mon abnégation a vu ses limites atteintes. Puisqu’il était insatisfait mais qu’il ne faisait rien pour que ça change, ça ne pouvait plus durer. Trop bon·ne trop con·ne, c’est un trait de caractère dont on peine à se soigner, et puis c’est compliqué de savoir où on en est quand on s’est parée d’une armure de guerrière pour protéger la petite chose sensible en soi. Cette fois c’en était assez, il n’avait qu’à aller voir ailleurs si l’amour était meilleur.
Quand on a beaucoup douté, le jour où la solution s’affirme comme une conviction, on tient position. Acceptant mon raisonnement et sa conclusion, il a fait ses cartons. Dès lors je ne me pensais pas célibataire mais « libre d’aimer qui je veux aimer, comme j’ai envie d’aimer », dans les limites conséquentes de l’exercice : l’amour doit faire du bien, seulement du bien. Viser ce genre d’idéal implique une grande vigilance dans le choix de ses partenaires pas nécessairement aussi libres que soi, quoi qu’ils en disent par ailleurs.
Aussi, il me semblait largement préférable d’enterrer l’idée d’un grand amour : je veux parler de la possibilité que quelqu’un existât qui partagerait ma sensibilité, qui me plairait et me donnerait envie de l’aimer humainement, intellectuellement et érotiquement. Tant pis pour le grand amour, « l’amour de ma vie » que je n’aurais pas la joie de vivre, autant faire le deuil de l’idée.
Je théorisais en conséquence : « Je suis une bombe d’amour, cette énergie me tend vers les autres, je suis un bien commun de l’humanité et nul ne devrait être autorisé à me privatiser au profit de son seul bien. » Refusant d’avoir à minauder pour séduire, je voulais être aimée telle que je suis, pour ce que je suis, sans artifices ni faux semblants. Enfin, je décrétais qu’aucun homme ne poserait les mains sur moi s’il ne savait être tendre, ce qui limiterait drastiquement les candidats potentiels.
La réalité s’avérant souvent décevante, autant vivre dans ses fantasmes. La vie m’avait déjà gâtée, j’étais une femme libre, mère de deux adolescents auxquels je n’avais pas épargné ma lecture du monde, j’avais confiance en moi et cessé d’être torturée, j’étais fière des projets réalisés dans les luttes, de Plein le dos notamment et de la parole qui m’était offerte pour en parler. Je ne m’en tirais pas si mal étant donné les chemins de traverse empruntés.
Reste que, travailleuse indépendante sortie du terrain des luttes où j’avais construit ma sociabilité les dix années passées, solidaire quoique de plus en plus solitaire, je me retrouvais isolée : je devais me créer une communauté composées de gentil.les sensibles émancipé·es, ou à tout le moins, de curieux et de curieuses éveillé·es. Pour ce faire, j’avais plusieurs atouts. Un logement confortable dont je décidais désormais des règles seule, et une personnalité liminaire se tenant à la frontière de plusieurs mondes.
Le temps passe vite et il est des personnes croisées, qu’intuitivement on a reconnues comme des frères et sœurs d’humanité, sans prendre le temps de mieux les rencontrer. Dans la société capitaliste où l’individualisme domine et où sont nombreux ceux qui confondent être et paraître en croyant trouver leur bonheur avec la consommation et l’accumulation de biens inutiles, nous réunir pour rien, sinon pour le plaisir, ne ferait de mal à personne.
J’initiais alors un cycle de soirées bimensuelles dont les sujets de discussion s’improviseraient en fonction des présent.es. L’idée était de combler ma solitude existentielle et, parce que j’aime l’éducation populaire façon Paolo Freire, de faire se croiser des origines et des trajectoires tendues vers de grands idéaux, en plus de passer un bon moment. Parmi mes convives, il en est un en particulier que j’avais à cœur de recevoir, pressentant qu’il ne pourrait qu’apprécier de rencontrer d’autres personnes comme lui, éprises de justice.
Bonjour Louise
Je viens de lire ton article ,je ne sais que dire sinon que tu es une sacré belle personne.
Je te dédis cette citation de Camille Claudel
« Où personne n’a été j’irai et où on m’interdira d’aller j’irai quand même. »
Je vous embrasse toi ,Christophe et tes proches
A bientôt
Jean-Michel
Merci Jean-Michel pour ce très gentil message qui m’invite à poursuivre l’écriture de ce blog
💚💛🔥
Très bien écrit Louise, que de chemin parcouru..Je vous souhaite le meilleur ! Bizzz
Merci Laure et bisou. PS :Tu étais présente le premier soir parmi mes camarades aux origines et trajectoires diverses 😉
Un parrainage invisible 😉, des témoins inconscients…ahahah…la magie de l instant ! A samedi !
Bonjour Louise
J’avais déjà lu « maman » qui m’avait particulièrement émue,je viens de finir « un grand amour révolutionnaire. »
C’est une belle ode à l’amour de la vie et à l’intelligence,dans une période où seul la haine et la bêtise sont rendues visibles.Et bien tu sait quoi ?tu me faits du bien .
Les gilets jaunes nous avaient rendues confiance en l’humanité,avec eux
nous avons ouvert des portes qui ne peuvent plus se refermer.
Je vous embrasse
A bientôt
Chantal
Merci Chantal pour ce commentaire qui donne du sens à ce blog. Je vous embrasse aussi et je m’occupe de vous expédier bientôt le livre demandé.
C’est une belle histoire raconté avec tellementde délicatesse (et tellement bienécrit) . Tenez le Cap l’amour, la lutte , c’est l’espoir c’est la vie
Amitiés
Clo
Bonjour Louise et Christophe !
Je me réjouis pour vous 2 ;
J’ai pû te croiser en manif mais je ne t’ai vraiment vue qu’une seule fois c’était à Besançon. Nous n’avons eu que peu d’occasions d’échanger mais j’ai perçu une belle personne . Me suis pas trompée !
Quant a Christophe c’est bien ce que j’ai vu quand je l’ai rencontré a Tourcoing; un être sensible, tendre et empathique, un homme solidaire, humble, gentil et attentionné.
Force et courage à tous les 2 contre l’adversité. Vous serre dans mes p’tits bras de Amma. 😜.Amicalement Joëlle
Ouhaou j’ai eu envie de lire jusqu’au bout sans en perdre une goutte. Qu’elle belle histoire longue vie à la lutte qui sera encore plus forte j’y crois encore et à vous