œuvre anonyme, Paris 20e (2020) ©moi

« À quoi crois-tu ? À ceci : que le poids de toutes choses doit être déterminé de nouveau »

NIETZSCHE

On arrive au monde sans l’avoir demandé, sans avoir eu le choix de rien. On ne mérite pas plus d’être né pauvre ou riche, noir ou blanc, beau ou laid, petit ou grand, etc. On aurait aussi bien pu naître ailleurs, sur un autre continent, dans une autre culture, dans un corps différent. Il n’y a rien de juste dans l’attribution des places, c’est comme ça.

Le destin n’est pas écrit dans un grand livre, rien n’arrive inexorablement ni ne s’impose d’en haut comme le croit Jacques le fataliste [1]. Les rôles sont attribués en début de partie par le hasard, et si l’on ne mérite pas d’être né ici plutôt que là-bas, chacun peut jouer au mieux son jeu, si tant est qu’on l’invite à ne pas se considérer comme une victime condamnée par le destin ou comme un élu.

Fillette, je me souviens avoir traité mes parents d’égoïstes pour m’avoir mise au monde sans m’avoir demandé mon avis, et je me suis longtemps sentie inadaptée, parce que trop sensible et trop sujette à être affectée par l’état du monde. J’ai eu besoin de la philosophie pour dire OUI à la vie. Le stoïcisme m’a appris à séparer ce qui dépend de moi de ce qui ne dépend pas de moi ; à agir sur ce qui dépend de moi et à ne pas m’affliger du reste.

Si savoir cela ne m’empêche pas d’éprouver de la peine ou de la colère, cela me permet de me raisonner. C’est pour ça que je me suis fait tatouer Amor Fati à un endroit où je peux le voir, dans le but de ne pas oublier ce que ces deux mots signifient, et pour m’en souvenir les jours gris où l’idée de liberté absolue revient me hanter. Amor Fati m’aide à me souvenir qu’il est inutile de me torturer face à l’obscénité du monde, au temps qui passe, aux injustices, aux inégalités, aux guerres, à la haine, à la méchanceté gratuite, au mépris, etc. Amor Fati me rappelle que ressasser ma bile ne m’apportera rien de bon.

Je t’écris pour te dire que tu n’as peut-être pas eu de chance, mais que pour changer ça, tu dois aller au devant de ta vie. Parce que toute action produit des effets, que toute cause a une conséquence. Si on peut déplorer le fait de ne pas être né du bon côté, on peut considérer comme un bien le fait de ne pas être né prince ou princesse, avec une destinée tracée, et de pouvoir choisir d’emprunter des chemins de traverse, au gré de sa trajectoire singulière.

Je veux te dire qu’en étant ouvert aux opportunités, prêt à les saisir, ouvert à l’Autre avec le guide qu’est l’intuition, il peut t’arriver de belles choses. Mais pour ça, tu vas devoir accepter de réviser certaines pensées que tu tiens pour des évidences. Ça dépend de toi, notamment de ta façon de t’adresser à l’autre, sans le prendre pour un con, ce qui suppose aussi que tu ne te prennes pas toi-même pour un.e con.ne. En attendant je ne peux que t’inviter à considérer que je ne suis pas là pour te raconter du blablabla, mais pour partager avec toi ce qui guide mes pas, et que ça n’a rien à voir avec le fait de te dire qu’il suffit de traverser la rue pour trouver un travail.

[1] Jacques et son maître, Diderot
[2] Pour comprendre le sens de cette allocution latine, voir Amor Fati sur https://fr.wiktionary.org

One Reply to “à toi de jouer”

  1. On peut toujours faire quelque chose de ce que l’on a fait de nous, disait Sartres

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