Graffiti anonyme ©moi

« Quel est le sceau de l’acquisition de la liberté ?
Ne plus avoir honte de soi » 

FRIEDRICH NIETZSCHE

Un homme au profil de gendre idéal – les apparences sont avec lui – et qui officie sur la Place Publique, invitait récemment en quatrième de couverture de son dernier essai, la jeunesse bourgeoise à sortir de son impuissance : « Votre irruption sur la scène politique va changer la donne. Vous allez faire mentir les fatalistes et les ­cyniques. Ne sous-estimez jamais votre pouvoir. Exercez-le, vous verrez. »

Ce pouvoir ne peut se révéler qu’à celle/celui qui a une bonne estime de lui-même, chose qui ne se décrète pas, et qu’il s’agit pourtant de rendre à toutes celles et ceux qui aspirent à s’émanciper de la domination. Spinoza [1] explique que l’être n’est pas émancipé tant qu’il est soumis à ces affections. Ce qu’il a écrit pour les initiés, je vais le dire avec mes mots, en me concentrant sur ce qui me semble utile pour notre temps.

Il s’agit de ne plus se laisser humilier par ce que la société dit de nous : personne ne mérite son sort. Je l’expliquais à mes fils lorsque petits, ils me demandaient pourquoi le monsieur dormait dehors : « mon chéri, le monde est injuste, certains te diront que, si il est là c’est parce qu’il le mérite, mais vois-tu, il n’a pas eu de chance dans la vie, ça n’est pas de sa faute. Mon fils, la majorité des jeunes personnes à la rue sont des enfants de l’assistance publique, ils n’ont pas de papa et de maman, et l’Etat les mets à la rue à dix-huit ans ».

On connaît d’autant mieux la leçon que nous sommes les premiers à l’incarner, tant elle s’est immiscée en nous, et fonde notre vision du monde. Macron le dit, et malgré nous, nous le pensons aussi. Il y a ceux qui sont quelqu’un et ceux qui ne sont rien. Partout, et même dans nos rangs de gauche, le mépris qui se dégage à l’égard de celui qui ne pense pas comme toi ou qui n’appartient pas à ton réseau, qui n’a pas tes références et ta culture, la musique est la même. Quand je me sens méprisée par l’autre, à quoi cela tient-il, en quoi cela dépend-il de moi, qu’y puis-je ?

La première chose à régler est ton estime de toi. Ni en défaut, ni en excès, avec indulgence à l’égard de tes erreurs, et exigence pour en tirer les leçons et ne pas les reproduire. Encore une fois, c’est facile à dire, mais c’est la base. La logique est implacable : si tu te méprises toi-même, si tu ne te respectes pas, qui te respectera ? Il s’agit de viser le milieu afin de te donner une estime de soi ajustée : ni trop, ni pas assez. Comme pour d’autres choses, ça suppose une recherche, un effort. Car c’est en faisant preuve de courage, qu’on devient courageux. C’est en s’encourageant soi-même à se dépasser, qu’on s’aide. C’est un cercle vertueux. C’est aussi en s’entourant de personnes qui t’encouragent, plutôt que d’autres qui te rabaissent, mais je m’éloigne du sujet et j’en parlerai plus tard.

Lorsque je m’invite à dépasser ma crainte, quand je m’arme de courage pour affronter un événement qui m’inquiète, je sais quelle émotion agit en moi, je me vois être, je sais ce que je suis en train de faire. Et quand je réalise que je suis parvenue à faire ce qui m’effrayait, puisque c’est moi qui me juge, que c’est moi qui me regarde, je peux me féliciter. Je sais ce que j’ai fait, comment je l’ai fait et pourquoi je l’ai fait. Personne n’est alors mieux placé que moi pour me dire : « je suis fière de toi ».

L’éthique m’encourage à faire preuve d’indulgence à mon égard, à ne pas me laisser aller au mépris de moi-même (défaut de qualité), ou à la vanité (excès de qualité). En suivant l’éthique que tu te donnes, tu peux commencer à travailler avec l’auto-exhortation que nous a léguée l’empereur stoïcien Marc-Aurèle [2]. Il s’agit de se dire à soi-même, aussi souvent que nécessaire : « c’est terminé, je me reprendrai chaque fois que je me verrai aller au mépris de moi. » L’estime de soi s’acquiert doucement, en oscillant entre « je suis nulle, je n’y arriverai jamais » et « j’ai assuré, je suis géniale ». Il s’agit de réduire progressivement l’écart pour parvenir à ce milieu où tu n’es ni un Rien, ni un héros, et où tu te considères ni plus ni moins égal.e à l’autre.

Tu manques d’estime à ton égard ? La honte t’envahit facilement ? Tu n’oses pas, tu crains le regard et le jugement de l’autre, tu aimerais faire une chose dont tu ne te sens pas capable ? Pose-toi, écoute toi, entoure-toi de bons conseils, confie-toi, ne te jette pas dans le feu sans mesurer le risque ! Et puis, qu’as-tu à perdre à essayer ? La peur et la honte ne te servent à rien sinon à t’empêcher d’agir : à toujours craindre ce que dira le voisin, tu ne feras rien. Et donc, il n’arrivera rien. C’est en parvenant à dépasser ta peur, en te démontrant à toi-même que tu t’étais mésestimé, que tu peux te dire : « Je ne m’en sentais pas capable, je me suis motivé, je me suis entouré de personnes qui m’ont encouragé et j’ai réussi. Je suis fier de moi ».

C’est parce que j’ai décidé de ne plus accorder d’attention à ma honte que ne me soucie plus vraiment de ce qui se dit de moi. Que j’ose dire ce que je pense, sans crainte d’être ridicule au yeux de méprisants qui moquent mon ignorance en ignorant la leur. Que je m’accorde le droit de me tromper et celui de progresser, celui de faire des erreurs et de (me) pardonner. C’est comme ça que je commence à devenir celle que je veux être. Ton égale. Je peux te dire que chaque victoire sur ma honte, et même la plus petite, vient renforcer mon estime de moi.

Applique-toi à l’indulgence, à ton égard et à celui des autres. On a bien le droit d’être faible à l’occasion, l’essentiel est de ne pas le rester. Essayons d’être plus gentils, ça ne pourra pas nous faire de mal, et même mieux, c’est logique, le plus souvent ça marche : plus tu es gentil et plus le monde est gentil avec toi. Fais-toi du bien, écoute de la musique, accorde toi un moment de calme, réveille l’artiste qui est en toi, va marcher et penser, doucement. C’est con, tout est là, c’est aussi simple que ça. Aide-toi, tu verras le résultat.


[1] Spinoza, Ethique – IV – De la servitude de l’homme ou des forces des affections
[2] Marc-Aurèle, Pensées à moi-même