Photo perso, vu à Marseille, juin 2022

« La propriété, c’est le vol »

PIERRE-JOSEPH PROUDHON

En France, depuis la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le droit de propriété privée est défini comme « naturel et imprescriptible », autant dire que ça confine au sacré et qu’il est quasi blasphématoire de le critiquer. En effet, devenir propriétaire, c’est le Graal d’une vie, l’objectif à atteindre pour avoir la sensation d’avoir réussi. C’est construire, pour soi et les siens, un cocon abrité du regard des autres et se constituer un patrimoine à transmettre à ses enfants au travers de l’héritage, qui est la première inégalité. C’est la fable que les grands bourgeois ont écrite : il fallait bien qu’ils puissent conserver leurs propriétés à la sortie de la Révolution française.

Ainsi, si tout se passe bien, le citoyen acquéreur pas né rentier s’aliénera à une banque en contractant un crédit, et donc à un patron pour une activité salariée où il perdra sa vie à la gagner durant une vingtaine d’année. Je caricature à peine. Certains penseront que je suis jalouse parce que je n’ai pas les moyens d’accéder à la propriété : il est vrai que je ne les ai pas, cependant je n’éprouve aucune jalousie pour des vies qui me semblent tristes à mourir.

Lorsqu’elle est devenue veuve, ma grand-mère paternelle ne souhaitait pas rester seule dans sa maison, qu’elle a mise en vente pour financer sa chambre dans un Ehpad. À 99 ans elle y est encore, tout le capital ayant été consommé, enfants et petits-enfants devront bientôt payer. Loin de constituer un héritage pour ses enfants, cela a servi à payer un mouroir dans lequel, si elle n’est pas trop mal traitée, les repas qui devraient être son dernier plaisir sont peu ragoûtants. Devenue sourde et aveugle, elle trouve les journées longues et dit souvent sa hâte de quitter ce monde.

L’objectivité suffit pour reconnaître qu’acheter une maison en couple, c’est l’assurance que l’un des deux y finira seul. Sans compter les problèmes d’usufruit et d’héritage si la famille est recomposée et qu’il y a des enfants issus de différentes unions. Quoique j’apprécie ma propre compagnie et que je ne craigne pas la solitude, en aucun cas je ne veux un jour avoir à subir l’isolement, ni que mes enfants me placent dans un mouroir si je perds un jour mon autonomie.

Par ailleurs, on entend beaucoup parler d’achat en copropriété entre potes : c’est chouette pour ceux qui en ont les moyens, moins sympa quand l’un•e des membres change de vie et que les autres doivent racheter sa part. On entend en revanche rarement parler d’habitat partagé géré selon les principes de la propriété d’usage : rien de surprenant puisque la petite bourgeoisie de gauche reste très attachée à la sacro-sainte propriété privée lucrative.

Dans le cas d’acquisition de foncier en mode propriété d’usage, des personnes s’assemblent pour mettre en commun leur économies. L’association achète le foncier et les prêteurs se voient rembourser leurs apports au moyen des loyers versés par les locataires selon le calendrier défini au montage du projet. Un prêteur n’est pas nécessairement locataire ; une personne fortunée peut avoir envie de contribuer à construire cette utopie, avec l’assurance de récupérer sa mise. Le projet est construit de telle façon qu’il garantit la pratique de loyers accessibles à tou•te•s, tout en sortant des biens de la spéculation immobilière.

S’il est réjouissant de savoir qu’il existe déjà quelques îlots de ce type, il est excitant d’imaginer contribuer à agrandir le parc, de la même façon que des associations acquièrent des forêts pour les protéger de l’exploitation forestière. Car c’est aussi une façon de lutter contre la spéculation immobilière ou de permettre à d’autres de se loger là où iels sont né•es, ce qui est inaccessible aux moins privilégié•e•s à cause de la gentrification.

Cela exposé, la propriété d’usage a d’autres avantages. Puisqu’il n’y a pas de propriétaire responsable de l’entretien et des travaux, les habitant•e•s sont invité•e•s à préserver et à entretenir leur lieu de vie en toute autonomie. Que l’on s’installe durablement ou que l’on ne soit que de passage, chacun•e est libre de prendre soin du lieu, pour les autres, pour le bien commun et pour les générations futures.

Aussi, loin des clichés, il n’est pas question de s’installer en communauté de hippies, mais de vivre côte à côte avec des valeurs communes. Des instances démocratiques sont créées pour assurer l’entente. On aménage le bâti comme on veut. À partir des possibilités offertes par le foncier acquis, on peut préférer un logement entièrement autonome ou choisir d’aménager des appartement privatifs ouverts sur une cuisine collective, comme lorsqu’on vit en colocation.

On vit dans le même village, certain•e•s logent dans le bourg près de l’église, d’autres habitent la ferme un peu plus loin là où le terrain permet aux volontaires des divers lieux de l’îlot de s’occuper du potager. On a plusieurs endroits où on se sent chez soi. Enfin, à terme, personne n’hérite : le bien reste protégé du marché de l’immobilier et permet d’offrir un logement à d’autres qui peuvent y vivre et à leur tour continuer de faire grossir l’îlot en s’attelant à acquérir d’autres lieux par l’intermédiaire de l’association, en recrutant donc d’autres allié•e•s.

Ça te tente ? Y’a plus qu’à recruter des compagnon•ne•s et/ou des bienfaiteur•ice•s qui accepteront de prêter une partie de leur capital pour construire la suite du monde, pour continuer de faire grossir ce qui existe déjà, qu’on a vu et qui nous a mis des étoiles dans les yeux. Si ça t’intéresse, écris à yapluqua(at)protonmail.com

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